Romans

La Chambre Solitaire de Shin Kyung-sook

<b>La chambre solitaire</b> De SHIN Kyung-sook éditions Picquiers
La chambre solitaire
De SHIN Kyung-sook
éditions Picquiers

Paru en 1999 en Corée, et en 2008 en France aux éditions Picquier, La Chambre solitaire a reçu le prix de l’Inaperçu en mai 2009.

« J’ai le pressentiment que ce texte ne sera ni la chronologie de faits réels ni une fiction, mais quelque chose entre les deux. » (p5)

Dès les premières pages, le roman ne cache pas son ambition autobiographique, même s’il n’est pas le condensé d’une vie en 400 pages. Qui a dit qu’il fallait se forcer et s’armer de courage pour lire ? Surement pas Shin Kyong-suk, qui voue à la littérature une évidente admiration, thème dont elle fait d’ailleurs allusion à plusieurs reprises dans son récit, structuré en petits paragraphes denses.

L’histoire qui nous est proposée est double. Elle est celle d’une jeune coréenne qui lutte contre la difficulté de son époque, et celle d’un écrivain qui cherche à écrire sur son passé.

Une jeune fille de 16 ans quitte la campagne pour rejoindre Séoul et y travailler comme ouvrière dans une usine. Le passage de la maison familiale à la chambre solitaire qu’elle partage avec son frère ainé et sa cousine est difficile, à l’image des conditions de vie des ouvriers dans les années 1980. Mais, au-delà de la triste réalité des longues journées de travail peu rémunérées, elle apprend l’espoir. L’espoir en un futur meilleur grâce aux cours du soir qu’elle suit dans un lycée afin de pouvoir un jour entrer à l’université et accomplir son rêve d’enfance – devenir écrivain, mais aussi grâce à l’amitié de sa voisine Hi-jae, ouvrière comme elle.

Une femme hantée par son passé voudrait déposer son fardeau sur sa feuille, mais celle-ci reste souvent blanche car ce qui a été difficile à vivre l’est tout autant à écrire. «Viendrais-je à bout de ce texte ? J’ai un doute. » (73) Surmontant ses propres peurs, elle se plonge dans ses souvenirs, et commence à écrire.

Comme le laisse supposer le titre, ce livre raconte une histoire de solitude. La solitude d’une jeune fille dans une ville immense et inconnue, la solitude face aux évènements qui ont marqué son passé et qui continuent de la faire souffrir. Peut être ce livre renvoie-t-il aussi à toutes les solitudes, celle de l’auteur, enfant devenu adulte trop tôt, à celle du lecteur ?

Grâce à un récit à la première personne en « perpétuel mouvement de fuite et de retour » (64) entre le passé et le présent, le jeu de l’identification au personnage principal est immédiat et va se maintenir, sans faille tout au long de la lecture. Le voyage retour, au temps du régime de Park Chung-hee, le temps d’un roman. Tout cela avec un style épuré, d’une saisissante réalité universelle, une langue parfois emplie de tristesse et de réflexion, à l’image de passages lyriques émouvants, marqués par le désir de se fondre dans le paysage, au risque de disparaître.

Pour commenter sa narration, l’auteur prévient d’emblée vouloir utiliser « le présent pour décrire le passé et le passé pour décrire le présent » (35). Cette invitation au paradoxe oblige à une vigilance accrue et met le présent à distance. La Chambre solitaire est un témoignage poignant de l’époque sous laquelle a grandit l’auteur. De cette vie singulière, Shin Kyong-suk extirpe la profondeur de l’âme humaine et nous contraint à nous interroger sur nos propres doutes, sur nos propres errements. C’est le miracle de cette lecture dont nous ressortons profondément marqués que de nous proposer ce travail sur la mémoire, cet aller-retour entre singulier et universel.

Se plonger dans ce roman, c’est aussi découvrir, ou redécouvrir, le pouvoir de l’écriture, de la littérature qui a donné à la jeune Shin Kyong-suk -qui rêve de devenir écrivain- la force de vivre, ce pouvoir qui fait qu’entre le moment où l’on ouvre le livre et celui où on le referme il s’est passé du temps, peut-être notre vie, sans que l’on s’en rende bien compte.

« Quand je pense à la littérature, ce sont les yeux implorants d’un chien qui regarde son maître qui me viennent à l’esprit. La beauté du destin contenu dans ces yeux, le chagrin de celui qui vénère son amour, le silence de celui qui a vu ce qu’il ne devait pas voir. » (199)

Lucie Angheben

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